Heures supplémentaires : La Chambre sociale modifie sa jurisprudence sous l’influence de la CJUE

Publié le : 10/05/2020 10 mai mai 05 2020

Assez classiquement, un salarié réclame le paiement d’heures supplémentaires accomplies mais non rémunérées par son employeur. En première instance, il produit des éléments faisant le décompte des heures prétendument travaillées, mais celui-ci, lui rétorque l’employeur, n’a pas été établi au moment de la relation contractuelle. En cause d’appel, le salarié produit d’autres documents, qui présentent des contradictions manifestes avec ceux donnés en première instance. L’employeur devant la Cour d'appel reprend le premier argument indiquant que, non seulement les éléments produits par le salarié n’ont pas été établis au moment de la relation de travail, mais qu’en outre il existe des contradictions manifestes entre ceux fournis devant le CONSEIL DE PRUD'HOMMES et ceux fournis devant la Cour d'appel.  Dans ces conditions, la Cour d'appel écarte les demandes du salarié.  Celui-ci se pourvoie en cassation et met en avant deux arguments :
  • D’une part, les documents servant de fondement à sa demande n’ont pas à être établis durant la relation contractuelle ; Aucune disposition légale n’impose une telle obligation ;
  • D’autre part, rien n’interdit de produire des documents probatoires différents entre la première instance et la Cour d'appel, tant que ces derniers sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
  La Cour de Cassation admet le raisonnement du salarié et juge qu’il résulte des dispositions des articles L 3171-2 à L 3171-4 du Code du Travail « qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. » Ainsi, la Cour de Cassation rappelle fermement aux employeurs qu’ils sont titulaires d’une obligation de tenue du décompte des heures de travail prévue à l’article L 3171-2 du Code du Travail. Ce texte impose, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier, ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d’établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective. Au travers de cette affaire, la Cour de Cassation rappelle cette obligation et tire la conséquence qu’un employeur qui ne la respecte pas pourra très difficilement combattre des éléments apportés par le salarié La Cour de Cassation ajoute, d’une manière innovante, que, « le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments, au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. » Même si elle ne l’indique pas expressément dans son arrêt, alors que la note d’accompagnement est explicite sur ce point, la décision de la Chambre sociale de la Cour de Cassation trouve son fondement dans l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’un litige collectif portant sur l’enregistrement du temps de travail journalier et des éventuelles heures supplémentaires réalisées, du 14 mai 2019 (C-55/18). La CJUE indique que : « les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 11, paragraphe 3, et de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ». Dans les motifs de son arrêt, la Cour de justice précise que : - contrairement à un système mesurant la durée du temps de travail journalier effectué, les moyens de preuve pouvant être produits par le travailleur, tels que, notamment, des témoignages ou des courriers électroniques, afin de fournir l’indice d’une violation de ses droits et entraîner ainsi un renversement de la charge de la preuve, ne permettent pas d’établir de manière objective et fiable le nombre d’heures de travail quotidien et hebdomadaire effectuées par le travailleur, compte tenu de sa situation de faiblesse dans la relation de travail (points 53 à 56) ; - afin d’assurer l’effet utile des droits prévus par la directive 2003/88 et du droit fondamental de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos journalières et hebdomadaires consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, les Etats membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, avec toutefois une marge d’appréciation dans la mise en oeuvre concrète de cette obligation pour tenir compte des particularités propres à chaque secteur d’activité concerné et des spécificités de certaines entreprises (points 60 à 63). Prenant en compte cette décision, la chambre sociale décide, sans modifier l’ordre des étapes de la règle probatoire, puisque, conformément à l’article 6 du code de procédure civile, tout demandeur en justice doit rapporter des éléments au soutien de ses prétentions, d’abandonner la notion d’étaiement, pouvant être source de confusion avec celle de preuve, en y substituant l’expression de présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande.  La chambre sociale rappelle que ces éléments doivent être suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments, en mettant l’accent en parallèle sur les obligations pesant sur ce dernier quant au contrôle des heures de travail effectuées. Il est enfin rappelé que, lorsqu’ils retiennent l’existence d’heures supplémentaires, les juges du fond évaluent souverainement, sans être tenus de préciser le détail de leur calcul, l’importance de celles-ci et les créances salariales s’y rapportant Ainsi, la juridiction de fond devra vérifier si l’employeur a répondu à son obligation légale de décompte préalable de la durée du travail. Si ce n’est pas le cas, l’employeur risque d’être particulièrement mal à l’aise dans la preuve qu’il doit apporter face aux éléments qui seront fournis par le salarié. On doit rappeler que les dispositions des articles D 3171-8 et D 3171-9 prévoient que l’employeur a l’obligation de décompter le temps de travail des salariés : « Premièrement : quotidiennement par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail, ou par le relevé du nombre d’heures de travail accomplies ; Deuxièmement : chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d’heures de travail accomplies par chaque salarié. » On ne saurait donc trop conseiller aux employeurs de respecter ces obligations de décompte du temps de travail de leurs salariés, sous peine de graves déconvenues dans le cadre des litiges éventuels de réclamation de paiement d’heures supplémentaires.     Références :  Cassation Chambre Sociale, 18/03/2020 – N° 18-10.919 – Jurisdata n° 2020-003934        

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