Je ne serai pas ton père

Auteur : Noémie LE MOUALLIC
Publié le : 07/07/2023 07 juillet juil. 07 2023

Cette affaire concerne l'annulation, à la demande de son auteur, de la reconnaissance de paternité d'une enfant conçue en Espagne par assistance médicale a la procréation avec don anonyme de gamètes ( ovocyte et spermatozoïdes). Les requérantes, la mère et l'enfant, invoquent l'article 8 de la Convention européenne des droits de de l'Homme (CEDH).

Rappel des faits et procédure:

Un couple marié a effectué deux tentatives d'implantation d'embryon, restées vaines.

Le couple dépose une demande de divorce par consentement mutuel le 3 mai 2013.

Quelques jours plus tard, le 12 mai 2013, une troisième implantation d'embryon est effectuée en Espagne, et celle-ci se révèle positive puisque la mère, requérante, a par la suite donné naissance à une fille, la deuxième requérante.

Le divorce est prononcé en juin 2013, l'enfant est née en novembre et l'ex-époux de la requérante a alors reconnu l'enfant.

Le 20 janvier 2015, le père saisit le Tribunal de grande instance de Nice d'une action en contestation de paternité au motif que l'enfant a été conçue après sa séparation avec la mère, par assistance médicale à la procréation à laquelle il déclare ne pas avoir consenti.

Le Tribunal de grande instance de Nice à débouté le père de sa demande au motif qu'il avait été impliqué dans le processus de procréation médicalement assistée, ainsi que dans l'éducation et l'entretien de l'enfant, du moins financièrement. De plus, le Tribunal a jugé qu'il serait contraire à l'intérêt de l'enfant de le priver d'une filiation paternelle étant donné l'impossibilité pour lui d'établir une paternité biologique.

Le père a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, laquelle l'a infirmé et a annulé la reconnaissance de paternité au motif que le consentement donné par l'ex-époux est devenu caduc par l'effet de la cessation de la communauté de vie des époux et de la requête en divorce déposée par la suite.

Les requérantes se sont pourvues en cassation en invoquant l'article 8 de la CEDH et l'article 3 paragraphe 1er de la Convention internationale des droits de l'enfant.

La Cour de cassation a rejeté leur pourvoi par un arrêt ainsi motivé:

« (...) Si l'action en contestation de paternité et la décision d'annulation d'une reconnaissance de
paternité en résultant constituent des ingérences dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, elles sont prévues par la loi, à l'article 332, alinéa 2, du code civil précité, et poursuivent un but légitime en ce qu 'elles tendent à permettre l'accès de l'enfant à la réalité de ses origines.

Après avoir constaté qu'elle était née d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée sans le consentement de [C], celui-ci étant privé d'effet, la cour d'appel a relevé que l'intérêt supérieur de l'enfant [B] résidait dans l'accès à ses origines personnelles et que la destruction du lien de filiation avec [C] n'excluait pas pour l'avenir et de façon définitive l'établissement d'un nouveau lien de filiation.

Ayant ainsi statué en considération de l'intérêt de l'enfant, apprécié in concreto, elle a pu en déduire (. .) que l'annulation de la reconnaissance de paternité ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, justifiant légalement sa décision au regard des exigences conventionnelles susvisées. »


Procédure devant la Cour européenne des droits de l'Homme:

Les requérantes, ayant épuisé les voies de recours internes, ont alors saisi la Cour européenne des
droits de l'homme, qui considère effectivement que l'annulation de la reconnaissance de paternité constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de l'enfant.

Cependant, l'ingérence litigieuse est prévue par la loi à l'article 332 du Code civil et a pour but
légitime le respect des droits et libertés d'autrui, à savoir le demandeur devant les juridictions
internes.

Enfin, la Cour a dû déterminer si l'ingérence était nécessaire dans une société démocratique pour
atteindre le but poursuivi.

Elle reconnait, comme en l'espèce, une marge d'appréciation élargie aux Etats qui doivent mettre en balance les droits fondamentaux concurrents de deux individus.

La Cour a pris en compte les raisonnements tenus par les juridictions internes et notamment ceux de
la Cour d'appel, qui a mis en balance les interêts des parties en prenant en compte l'intérêt supérieur de l'enfant et a considéré que l'annulation de la filiation paternelle répondait à cet intérêt. En effet, la Cour relève les différents éléments que la Cour d'appel avait pris en considération dans son raisonnement Geune âge de l'enfant au moment de l'introduction de l'instance, absence de relations père-fille, absence de réalité biologique de la filiation, ... ).

La Cour, tout en notant que les juridictions internes ne se sont saisies que de la dimension identitaire de la question de filiation, valide, eu égard à la marge d'appréciation dont disposait l'État, l'appréciation faite par les juridictions internes des intérêts en jeu, et, en particulier, de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui n'apparaît ni arbitraire ni manifestement déraisonnable.

Ainsi, il n'y a pas de violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme dans le chef de l'enfant requérante.

Source: AFFAIRE A ET B c. FRANCE (Requête n° 12482/21) du 8juin 2023

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