Caissières prises la main dans le sac !
Publié le :
19/11/2019
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En Espagne, un directeur de supermarché avait constaté des disparités entre les stocks et les ventes. Soupçonnant certaines de ses salariées de vol, il avait installé, à leur insu, des caméras de surveillances qui avaient confirmé ses suspicions : les employées se rendaient bien coupable de vol de marchandises. L’employeur les a donc licenciées pour motif disciplinaire, en produisant comme preuves les enregistrements en question. Les employées ont saisi les juridictions espagnoles pour contester leur licenciement. Elles invoquaient notamment l’irrecevabilité des enregistrements de vidéosurveillance comme preuves dans la mesure où elles n’avaient pas été informées, contrairement à ce que prévoit la législation espagnole (comme la législation française), de la mise en place d’une surveillance par caméra. Les juridictions nationales les ont déboutées de leur recours, jugeant le licenciement valable. Devant la Cour européenne des droits de l’Homme, les requérantes invoquaient la violation de l’article 8 (droit à la vie privée) et de l’article 6§1 (droit au procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’Homme Dans un premier temps, un arrêt de Chambre (du 9 janvier 2018) leur a donné raison, considérant que l’Etat espagnol avait commis une violation de l’article 8. Toutefois, un arrêt de Grande chambre du 17 octobre 2019 est revenu sur cette position, considérant que les juridictions espagnoles ne s’étaient rendues coupable d’aucune violation de la Convention. En effet, la Cour a jugé que les tribunaux nationaux avaient minutieusement mis en balance les droits des requérantes et ceux de l’employeur, et qu’ils avaient examiné en détail la justification de la vidéosurveillance. La mise en place de la vidéosurveillance par l’employeur, même sans respecter son obligation légale d’en informer les salariées, a été considérée comme étant une mesure clairement justifiée en raison des soupçons légitimes d’irrégularité graves et des pertes constatées. La Cour relève par ailleurs que la surveillance n’a duré que 10 jours et que les enregistrements n’ont été vus que par un nombre restreint de personnes. Ainsi, l’intrusion dans la vie privée des requérantes ne revêtait pas un degré de gravité élevé. De plus, si les conséquences de la surveillance pour les requérantes ont été importantes (licenciement), les enregistrements n’ont pas été utilisés par l’employeur à d’autre fins que de découvrir les coupables des vols et aucune autre mesure n’aurait permis d’atteindre ce but légitime. La juridiction européenne conclut donc que les tribunaux internes ont estimé, sans outrepasser leur marge d’appréciation, que cette surveillance était proportionnée et légitime. Sur la question particulière de l’information préalable de la mise en place d’une vidéosurveillance, la Cour commence par constater l’existence d’un ample consensus international autour de l’obligation de notification préalable. La Cour précise ensuite qu’elle ne saurait accepter que le moindre soupçon d’irrégularités commises par des employés puisse justifier la mise en place d’une vidéosurveillance secrète par l’employeur. Mais, en l’espèce, l’existence de soupçons raisonnables que des irrégularités graves avaient été commises et l’ampleur des manques constatés peuvent apparaître comme des justifications sérieuses. Il n’y a donc eu aucune violation de l’article 8. Enfin, la Cour rejette également l’argument tenant à la prétendue violation de l’article 6§1 de la Convention (procès équitable). La Juridiction considère à cet égard que les requérantes ont eu la possibilité de s’opposer à l’utilisation des enregistrements comme preuves et que les Juridictions ont amplement motivé leur décision. De plus, les enregistrements n’étaient pas les seuls éléments du dossiers (les tribunaux ont utilisés d’autres éléments, comme les dépositions des parties) et les requérantes n’ont pas contesté l’authenticité ni l’exactitude des images. La Cour en conclut que l’utilisation comme preuves d’images obtenues par vidéosurveillances n’a pas porté atteinte au caractère équitable de la procédure. Il n’y a donc eu aucune violation de l’article 6§1 de la Convention. Cour européenne des droits de l’Homme, 17 octobre 2019, requêtes N°1874/13 et 8567/13 https://hudoc.echr.coe.int/fre#{"itemid":["001-197095"]}