Lorsque l’importance du litige chasse les règles de procédure
Auteur : Jean-Michel CAMUS
Publié le :
15/07/2023
15
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07
2023
La Première Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu un arrêt le 5 avril 2023, dans lequel elle a jugé que l’application des règles strictes de procédure civile en cause d’appel résulterait d’un formalisme excessif, qui violerait le droit d’une partie d’un accès à un Juge, dans les conditions de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, c’est-à-dire dans le droit d’accès à un Tribunal indépendant et impartial dans un délai raisonnable et sans formalisme excessif.
Dans le cas d’espèce, il s’agit d’une procédure d’enlèvement international d’enfant, où la partie principale est le Ministère Public.
Le Juge aux Affaires Familiales a rendu une décision au cours de laquelle le parent délaissé était intervenu volontairement.
Le Juge de première instance a déclaré le déplacement illicite mais a rejeté la demande de retour au motif qu’il existait un risque grave que le retour n’expose les enfants à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne les place dans une situation intolérable au sens de l’article 13-b de la Convention de LA HAYE du 25 octobre 1980.
Le Ministère Public a interjeté appel de cette décision et le père a relevé appel incident.
Or, l’appel formé par le Ministère Public l’a été sur papier et sa transmission par voie électronique a échoué.
Or, toujours, devant la Cour d'appel, le Code de Procédure Civile dispose que les déclarations d’appel doivent se faire par la voie électronique sous peine d’irrecevabilité.
L’intimé devant la Cour d'appel a soulevé l’irrecevabilité de l’appel principal et donc de l’appel éventuellement incident, au motif que la communication électronique s’imposait au Ministère Public.
Procéduralement, l’argument est imparable.
Cependant, la Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la Cour d'appel et lui a reproché d’avoir fait prévaloir l’obligation pour le Ministère Public de remettre sa déclaration d’appel par la voie électronique sur l’enjeu et l’intérêt du litige, visant à ordonner éventuellement le retour d’un enfant déplacé illicitement par application des instruments juridiques établis par la Convention de LA HAYE du 25 octobre 1980.
Ce qui est intéressant de noter est que la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans cet arrêt, a repris quasiment mot pour mot, les dispositions de l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en date du 5 novembre 2015, dans laquelle la Cour Européenne des Droits de l'Homme avait condamné la France, en estimant que la Cour de Cassation avait fait preuve d’un formalisme excessif en ce qui concerne l’application de l’exigence procédurale litigieuse et avait conclu à la violation de l’article paragraphe 1er de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
Il s’agissait également d’une procédure de déplacement illicite d’enfant, dans laquelle la Cour Européenne des Droits de l'Homme avait considéré que le parent délaissé s’était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre, entre d’une part le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part, le droit d’accès au Juge.
La Cour de Cassation montre qu’elle a reçu cinq sur cinq la leçon de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et elle a reproduit les attendus de l’arrêt de la Cour Européenne dans son propre arrêt.
La question qui se pose maintenant est de savoir si la prise en compte d’un formalisme excessif pourra permettre de « rattraper » des procédures, dans lesquelles les dispositions du Code de Procédure Civile français, particulièrement rigides devant la Cour d'appel, interdiraient en pratique l’accès au Juge.
Cette question sera évidemment au centre de nombreux débats à venir.
Cassation Civile Première, 05/04/2023, n° 22-21.823, Jurisdata n° 2023-005086
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